En écoutant Encore Heureux cet après-midi sur France Inter, j’ai entendu parler d’un bouquin qui a l’air fort intéressant mais malheureusement un peu cher : The Nature of Prejudice de Gordon W. Allport.

Dans cet ouvrage, l’auteur étudie les racines de la discrimination et propose une échelle de la discrimination graduée de 1 à 5.

Je découvre cette échelle, qui est intéressante pour essayer de mesurer et quantifier la discrimination que subit une population marginalisée.

Degré 1 : antilocution

Antilocution signifie qu’un groupe majoritaire fait librement des plaisanteries sur un groupe minoritaire. La parole sert à véhiculer des stéréotypes et des images négatifs. Ceci est communément vu comme inoffensif par la majorité. L’antilocution elle-même peut ne pas être offensive, mais elle prépare le terrain pour des sorties plus graves pour les préjugés.

Si on se situe dans la France d’aujourd’hui, ce sont les blagues sur les Portugais qui sont censés être doués pour la maçonnerie, par exemple. Même si ça semble innofensif et bon enfant pour ceux qui les font, ces plaisanteries peuvent blesser et entretenir des stéréotypes dans les esprits, qui entraînent des discrimations réelles, conscientes ou non.

Degré 2 : évitement

Les gens dans un groupe minoritaire sont activement évités par les membres du groupe majoritaire. Aucun mal direct n’est voulu, mais un mal indirect est fait à travers l’isolation.

Pensez aux Roms, ou même aux gens du voyage en France. Quand j’étais adolescent, je vivais à Andernos-les-Bains, cité balnéaire qui accueillait tout les ans une communauté gitane. Mes camarades de virées nocturnes m’ont rapidement fait comprendre qu’il était hors de question d’adresser la parole aux nomades qui cotoyaient le même bar que nous pour quelques jours. Bizarrement, cet évitement incluait la gent féminine, car on risquait à charmer les belles

de se retrouver à vivre dans une caravane.

Il va sans dire que malgré mon scepticisme, je n’ai osé ni contredire mes amis ni braver cet interdit.

Degré 3 : discrimination

Le groupe minoritaire subit la discrimination en se voyant refuser des opportunités et des services, mettant ainsi le préjugé en action. Des comportements ont le but spécifique de causer du tort au groupe minoritaire en l’empêchant d’atteindre son but, d’obtenir de l’éducation ou des emplois, etc. Le groupe majoritaire essaye activement de causer du tort à la minorité.

Ce degré 3 existe encore à une grande échelle en France, notamment sur le marché du travail et dans l’accès au logement.

Je me rappelle très bien mon propriétaire à Paris qui m’affirmait sans rougir qu’il ne louait jamais ses appartements aux Noirs. Je n’avais rien demandé, mais il n’a pas pu s’empêcher de remarquer que ma voisine était d’origine africaine.

Degré 4 : attaque physique

Le groupe majoritaire vandalise des biens du groupe minoritaire, ils brûlent leur propriété et effectuent des attaques violentes sur des individus ou des groupes. Du mal physique est fait aux membres du groupe minoritaire. Parmi les exemples figurent des lynchages de Noirs, des pogroms contre des Juifs, goudronnage et plumage de mormons au xixe siècle et de loyalistes anglais au xviiie siècle, vandalisation des églises coptes en Égypte par les foules musulmanes.

Heureusement, les exemples dans la France contemporaine sont des cas isolés. Ils existent, mais ne sont pas systématiques comme les attaques physiques contre les Noirs dans le sud des États-Unis dans la première moitié du XXème siècle.

Cependant la présence de stéréotype du genre “les Juifs ont tous de l’argent” encourage des déséquilibrés à s’en prendre aux Juifs.

Degré 5 : extermination

Le groupe majoritaire cherche à exterminer le groupe minoritaire. Il cherche à liquider le groupe entier de personnes (par exemple, les guerres indiennes pour supprimer les Amérindiens, la solution finale contre les Juifs, le nettoyage ethnique au Nigeria par les musulmans contre les minorités animistes et chrétiennes, etc.).

Rien de tel en France pour le moment. Mais beaucoup de minorités en sont au moins au niveau 3, et des cas isolés de niveau 4 existent. Il reste du boulot, en d’autres termes.

La prochaine fois qu’une plaisanterie sur les Portugais ou les Asiatiques vous vient, ayez une pensée pour Allport. Ça vous évitera peut-être de passer pour un lourd.