Du bruit et du fond, les arguments des “Manif’ pour tous” - première partie
Aujourd’hui encore, le sujet du mariage homosexuel et les résistances qui acompagnent le projet de loi font beaucoup de bruit en France. Malheureusement, le bruit est tout ce qu’on entend, et ce vacarme assourdissant nous empêche d’entendre les arguments des uns et des autres.
D’un côté les opposants aux projet de loi se radicalisent et accusent le gouvernement d’être tyrannique, de l’autre, les partisans du mariage et de l’adoption par les homosexuels sont réduits le plus souvent à qualifier d’homophobes les personnes qui s’opposent au projet. Je regrette que les médias français ne nous parlent que du volume de manifestants et du volume sonore produit par les uns et les autres, et qu’on ne puisse discuter des arguments des uns et des autres. Après tout, ce ne sont pas nécessairement les plus nombreux ou les plus bruyants qui ont raison.
Il y a quelque temps, j’ai décortiqué quelques arguments des antis entendus lors d’un micro-trottoir, mais je me suis dit que c’était un peu facile, un panel de personne sélectionné par la radio avec leur petite phrase plus ou moins subtile. Après tout, comment savoir si France Inter avait sélectionné les éléments de ce micro-trottoir pour leur représentativité ou bien pour présenter les membres de “la manif’ pour tous” sous un mauvais jour ?
Aujourd’hui, je suis donc allé sur le site officiel du mouvement, afin d’y lire leur argumentaire. En effet, je pense que de part et d’autre d’un clivage, il est important de s’adresser aux meilleurs arguments proposés, et que s’acharner sur les arguments les plus faibles est un peu trop facile et réducteur. Sur leur propre site, j’imagine que l’argumentaire présenté par la “Manif’ pour tous” est une synthèse travaillée et étudiée de leurs arguments.
Voici le lien vers la page web en question.
1. Le mariage « pour tous » ?
Le mariage est toujours un choix pour les couples. Comme le montre la courbe actuelle des mariages, nombreux sont ceux qui préfèrent un mode de relation différent, comme le PACS ou encore l’union libre. Reconnaître la diversité des choix de vie, tant des couples homosexuels qu’hétérosexuels, c’est aussi voir le mariage comme un choix précis et exigeant, qui ne prétend en rien à l’universalité. De même que la société a progressé dans son accueil des couples homosexuels pour ce qu’ils sont, elle doit s’attacher au mariage pour ce qu’il est. La différence n’est pas le nivellement.
J’ai dû relire ce premier passage quatre ou cinq fois, car je n’étais pas sûr de mon interprétation. Si je comprends bien, il y a différentes formes d’unions, et parmi elles, le mariage est la forme la plus exigente, et qui n’est pas faite pour tout le monde. Jusque là, admettons. Ce qui veut dire, puisque cet argument est présenté par des opposants au mariage par les homosexuels, que ces derniers sont jugés indignes de se marier, car incapables de se plier aux exigences du mariage. Le mariage, c’est pour les gens sérieux. Pour les gens moins sérieux, il y a l’union libre ou le PACS. Encore une fois, c’est comme ça que je comprends cet argument, mais ça me parait très ouvertement homophobe, au sens où les homosexuels sont considérés universellement comme privés de certaines qualités que les hétérosexuels auraient. Je peux me tromper. J’espère me tromper. Si quelqu’un de la “Manif’ pour tous” pouvait m’expliquer…
2. La lutte contre les discriminations ne justifie pas le « mariage pour tous »
Le code pénal interdit toute discrimination sur le motif de l’orientation sexuelle. C’est la fierté et l’honneur de notre République que de proclamer ce principe. Nous haïssons l’homophobie et nous nous engageons résolument contre toutes les discriminations. En revanche, il nous semble juste que la loi distingue entre les formes de couple au regard de la stabilité familiale. C’est tout le sens du mariage républicain. Les «différences de traitement» reconnues par le droit dans ce contexte ne sont pas des discriminations ; elles servent à l’équilibre des familles et des enfants.
Alors encore une fois je trouve que c’est assez flou, et qu’on peut y lire une franche homophobie.« … il nous semble juste que la loi distingue entre les formes de couple au regard de la stabilité familiale. ». Le mariage, ça donne des avantages, pour encourager / récompenser la stabilité familiale. Et donc, ce n’est pas pour les homosexuels, car ils ne peuvent pas avoir de relations stables ? N’y a-t-il pas là l’idée que les homosexuels forment des couples très instables, de courte durée ? Qu’il leur manque intrinsèquement la qualité de la stabilité dans l’engagement ?
À la fin de ce paragraphe, apparaît l’équilibre des enfants. Pour l’instant ça n’est pas développé, donc on ne va rien dire.
3. Le mariage n’est pas la consécration d’un amour
Le mot latin matrimonium, d’où vient notre « mariage » signifie étymologiquement «protection de la mère». Il ne s’agit donc pas de la reconnaissance d’un amour entre deux personnes mais d’une institution qui protège la dignité respective des enfants et des parents, qui encadre la filiation. Même s’il existe une myriade de façons de vivre son mariage, c’est bien lors de la cérémonie en mairie que l’on remet le Livret de Famille. Le sens est très clair : toute famille n’est certes pas fondée sur le mariage mais le mariage fonde la famille ! C’est tout le sens des différences d’avantages entre le mariage et les autres sortes de couples : les mariés contribuent au renouvellement de la société et à l’éducation des plus petits…
Alors celui-ci est vraiment bizarre. Le mariage, ce n’est pas une consécration d’un amour, c’est uniquement pour fonder une famille. J’imagine que ça doit faire plaisir aux personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas avoir d’enfants. Deuxièmement notez l’attachement à l’origine étymologique du mot mariage, il faut s’en tenir au sens original des termes, il faut refuser d’envisager que le sens des mots et des institutions puisse changer avec le temps.
Encore plus bizarre, la dernière phrase : on revient sur les différentes formes de couples et les avantages donnés aux couples mariés, justifiés par le fait que « les mariés contribuent au renouvellement de la société et à l’éducation des plus petits… ». Vous comprenez, les gens qui font des enfants hors du mariage ne contribuent pas vraiment à mettre au monde de nouveaux citoyens, et n’éduquent pas leurs enfants. J’imagine qu’ils ne produisent que des cas sociaux…
4. La reconnaissance implicite du droit à l’enfant
Par le projet d’ « adoption pour tous », l’État reconnaîtrait implicitement un « droit à l’enfant ». Il s’agit d’une inversion totale de la logique de l’institution du mariage : on partirait de l’impossibilité d’avoir des enfants – sans qu’il y ait une pathologie, comme dans le cas des couples infertiles – pour créer un nouveau modèle fondé sur la coupure entre la filiation et l’éducation. En faisant cela, on se place du côté des désirs individuels et du projet des adultes et non de celui des enfants accueillis. Les effets d’une telle décision sur eux sont encore impossibles à cerner : les études, dans un sens ou dans l’autre, concernent de tout petits groupes ! C’est cette même logique qui parcourt, aujourd’hui, la revendication du droit à l’adoption et, demain, celle de la procréation médicalement assistée et la GPA pour les couples homosexuels : le droit à un enfant « hors sol », que l’on peut élever dans le déni de la complémentarité homme-femme, parce qu’il répond à un projet éducatif fondé sur l’amour.
Paragraphe intéressant, qui contient beaucoup de sous-entendus et de fantasmes.
Si je comprends bien, il n’existe pas de droit à l’enfant, mais simplement le fait d’avoir la possibilité physique d’en faire, avec ses organes naturels. On engendre ses enfants, puis on les éduque, et c’est le seul modèle valide. Je vais peut être faire une révélation un peu difficile à admettre, mais je pense que les homosexuels sont parfaitement capables d’engendrer des enfants. Il faut sans doute un peu se faire violence dans la chambre à coucher, mais une lesbienne peut très bien concevoir un enfant de la façon la plus naturelle du monde. Elle peut même faire une insémination artificielle de sperme avec des outils très rudimentaires, et je ne vois pas en quoi on peut le lui interdire. Pour les hommes, la chose est plus difficile, mais trouver une femme qui accepte, même gratuitement, de faire un enfant avec vous et pour vous n’est pas impossible.
Les homosexuels qui voulaient avoir des enfants n’ont pas attendu que la loi arrive, ils ont eu des enfants d’une manière ou d’une autre. Personne ne peut leur interdire de se reproduire, de même que personne de peut interdire à un couple marié d’avoir autant d’enfants qu’ils le désirent.
Ces enfants de couples homosexuels existent déjà, ils sont parmi nous depuis toujours. On aimerait nous faire penser que la loi Taubira va créer une situation nouvelle et incontrôlée, comme si ces enfants n’existaient pas.
Qu’est-ce qui va changer alors, pour ces enfants qui existent déjà ? Une protection supplémentaire, et une reconnaissance de l’existence et du statut de leur deuxième parent. Prenons le cas d’une lesbienne qui aurait conçu un enfant avec un ami, et qui l’aurait élevé avec sa compagne. De fait, cet enfant grandit dans un foyer avec 2 mamans, une biologique, et une deuxième maman, qui prend tout autant part à son éducation, veille à son bien être, crée une lien mère-enfant. Maman biologique, qui sans la nouvelle loi est le seul parent légal, décède malheureusement. Et voilà que la seconde mère, celle qui a été une mère de fait tout aussi présente, aimante, et importante, n’a pas de statut légal de mère, et l’enfant se retrouve orphelin. Ces situations existent, et la loi est là pour protéger les parents et enfants dans ces cas là, en reconnaissant le statut légal des deux parents dans ces cas.
Maintenant, quid de l’adoption ? Est-ce qu’un couple homosexuel peut offrir un foyer satisfaisant pour un enfant coupé de sa famille biologique ? Les “Manifs pour tous” nous disent que les études scientifiques sur le sujet sont invalides car basées sur un petit nombre de cas, et qu’on en trouve qui concluent que les parents homosexuels sont aussi bons que les hétéros, et d’autres qui disent le contraire. Bon, je ne sais pas quel nombre de cas étudiés donnerait satisfaction aux opposants de l’adoption par les homosexuels, mais si avoir des parents homosexuels était un tel traumatisme pour les enfants, si c’était un tel manque que de ne pas avoir un papa et une maman, les résultats des études seraient indiscutables, tous résolument orientés dans le même sens. Et même en admettant que le fait qu’un couple soit homosexuel est un paramètre sous-optimal pour le développement d’un enfant, il existe beaucoup d’autres paramètres, comme le niveau d’éducation, le statut social, la religion, les opinions politiques… Si le statut social pèse davantage que les autres, et que l’optimum qui se dégage est que les couples de cadres supérieurs sont toutes choses égales par ailleurs les meilleurs parents, est-ce que ça veut dire que les couples d’ouvriers ne devraient pas être parents ?
Finalement, on arrive à la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui. Premièrement, il n’est pas question de gestation pour autrui dans les projets du gouvernement, mais les “Manifs pour tous” utilisent l’argument fallacieux de la pente savonneuse : on ne peut pas ouvrir la PMA sans autoriser la GPA d’après eux. C’est un amalgame qui est là pour faire peur, créer une réaction émotionnelle, venue du rejet instinctif de la GPA pour faire rejeter en bloc le reste.
Conclusion
Bon je n’ai traité que les quatre premiers points de leur argumentaire pour cette fois, la suite au prochain billet.
Pour le moment, les arguments présentés me paraissent toujours très fallacieux, et contiennent en creux l’idée que les couples homosexuels sont intrinsèquement inférieurs aux couples hétérosexuels. On va voir si les six points suivants sont plus convainquants au prochain billet.